Quelque part dans un chalet perdu de la chaîne Niffelhienne..
« Gamin? Ohé... Gamin ! Il est déjà quatorze heure du matin, faut se lever se lever. » Il presse successivement sa canne contre la joue du garçon. Il appuie, le secoue un peu, et met sa patience à l’épreuve. « Oh, je sais que tu dors pas. Allez, on se lève… ALLEZ PETIT CON ! »
ET PAF. Il lui éclate le bout de bois sur le front. Nathaniel se réveille en panique, une énorme trace rouge entre les deux yeux. Il balaye la salle du regard l'air de dire what the hell is going on et se réfugie dans un coin de son lit.
« NAN DÉSOLÉ POUR LE KETCHUP, FAUT PAS ENVOYER KAARIS !! »
Retour à la réalité. Y'a eu confusion.
« Hein ? »
« Hein ? »
Les hommes se regardent pendant cinq bonnes secondes. Ok, y'a déjà défaut de conversation, on a connu mieux dans le processus de sociabilisation. Néanmoins, le vieillard et son arme de destruction massive se remettent à bouger.
« Ça va, toi ? Tu ne te rappelle de rien ? »
Nath se gratte la tête. Il reprend des couleurs. « Ah, si si, je me baladais tranquillement dans la montagne pour choper l'autre boulet, et je me suis paumé. Le truc, c'est que j'ai fais tomber les sandwiches que Valentine avait bien voulu COMMANDER A LA SUPÉRETTE… ! » Soudaine réalisation. Le vieux fronce les sourcils. « Nan j'vous jure, c'est super rare, hein. Et donc, je disais, j'ai zappé Green et j’ai perdu mon goûter, donc…. »
« Donc tu t'es évanoui de faim ? »
« Bah nan, je me suis cassé la gueule et j'ai heurté un tronc. Je suis tombé dans les pommes. » Il se met à rire compulsivement, l'air encore plus stupide que d’usage.
« Sacrebleu.. » Il tousse, l'air fébrile. « Je suis tombé sur un cas. Bref, c'est quoi ton nom, gamin ? »
« Ah ouais, les présentations… ! Moi c'est Nathaniel, mais tout le monde m'appelle Nath. » Il se met à murmurer, un sourire béat aux lèvres. « Dit comme ça on dirait que je suis mondialement connu, huhuhu... » Il se redresse et s’étire tout en envergure. « Sinon, vous n’auriez pas un bout de pain, monsieur du troisième âge ? »
« Tu crois que je vis au dix-neuvième siècle ? Bien sûr que j'ai de quoi manger. Mais tu vas commencer par enlever tes chaussures, remonter ta braguette et reboutonner ta chemise, gamin. Ton pull est sur la chaise. Je t’attends dans la cuisine. »
Nath baisse les yeux et dévisage son pantalon. Il lance ensuite un regard en biais au vieillard, qui n'arrive même plus à cacher son dépit.
« Ça va être compliqué... »
• coucoujesuisleblanc • coucoujesuisleblanc •
Le garçon porte la fourchette à sa bouche.
« C'est quoi ? »
« Du Cochignon en sauce. »
« Du Coch-.. Ah. Moi qui pensais que tous les ermites étaient vegan. »
« Plait-il ? »
« Nan, rien. D’ailleurs, vous vous appelez comment ? »
« Giscard. C'est un vieux nom Kalosien. Tu sais, gamin, avant j'étais politicien, et j'œuvrais pour les institutions de l'... » Il s'arrête net, voyant l'incompréhension dans les yeux du rescapé. Il tire un trait sur les explications techniques et attrape le sel de sa main tremblante.
« Passons. Ce qu'il faut retenir, c'est que j’ai rarement de la visite. Tout le monde ne s'aventure pas aussi loin. » Il tousse et attrape un mouchoir en urgence. « En plus, mon dos et mes articulations me font mal, je vieillis. Tu verras, gamin. Ce n’est pas marrant de vieillir. »
Nath hoche la tête vivement. « Mon pépé disait ça aussi avant de mourir, yup. »
Giscard plisse les yeux.
« Ce que je veux dire, c'est qu'avec les conneries qui passent à la télévision… Tu sais, ces émissions de téléréalité, ces jeux télévisés, et caetera… Eh bien, je n'ai plus rien à me mettre sous la dent. Je n'ai plus non plus la force d'aller à la bibliothèque, et les histoires me manquent. Mais maintenant que je t'ai offert le gite et le couvert, j'espère que tu as de quoi me divertir. »
« Ah ouais… Genre, ma vie ? »
« Euh. Si tu penses qu'elle est assez palpitante pour me garder en haleine, alors oui, ta vie. Tu n'as rien à faire, de toute façon, si ? »
Nathaniel saisit son menton. Il a bien l'impression d'avoir paumé quelque chose, plus tôt, mais impossible de mettre le doigt dessus... Bah ! C'est que ça devait pas être important. Il acquiesce de la tête.
« Je vois pas trop le rapport avec votre haleine. Mais en vrai, ça peut être marrant ! Avec les détails ou pas ? »
« Comme tu veux. De toute manière, je t'arrêterai si je m'ennuie. »
• coucoujesuisleblanc • coucoujesuisleblanc •
« Il était une fois… »
« Oui, non. Laisse tomber, on va passer à autre ch-.. »
« C'est bon, je commence ! Pff. Vous êtes pas un marrant, Gaspard... Bref. Je suis né à Mhyone, vous voyez où c'est ? C'est un archipel avec quatre îles au nord de l-.. »
Le vieux tape sa canne contre le sol. Le feu semble lui aussi crépiter de colère. « C'est bon, je sais où est Mhyone, je suis allé à l'école. Tu peux mieux faire. »
« Et dire que moi, je pouvais même pas situer Kalos.. » Le garçon fait une moue. « Donc oui, Mhyone. Port-Mirage, même.. Vous savez pas où c'est ça, hein ? Haha ! J'ai grandi là-bas, dans une grande maison avec plein de nature autour, et tout le tralala. Puis, comme tout le monde était ranger dans ma famille depuis des temps ancestrauuuux.. ! » Il retire sa main de la grille de cheminée. « Eh ben, moi aussi j'étais plus ou moins prédestiné à le devenir. »
« Ah, la pression familiale ? Moi aussi, j'ai connu ça. »
Nath penche la tête.
« M’oui et non. J'aimais déjà les pokémons, à ce moment. Donc ça me dérangeait pas trop de devenir ranger. Mais c'est vrai que y'avait le poids des attentes et tout ça… Heureusement, j'étais trop bon et j'ai pas tardé à avoir le niveau pour être recruté. » Il lève un pouce vainqueur, puisse passe du coq à l'âne avec une mine morose. « En vrai, mes parents ont pas voulu que je prenne mes fonctions tôt, parce que soi-disant j'étais pas assez nature, et caetera.. »
« Pourquoi ça ne m'étonne pas ? »
« Euh, vous êtes qui pour juger ? Je suis très responsable, ok. »
Le vieillard laisse échapper un petit rire.
« D'accord. »
« Donc, zip zoup, je zappe la soupe. J'ai grandi et puis j'ai vécu plein d'aventures à Mhyone, comme faire sauter le toit d'une arène avec mon Wailord, électrocuter des agents avec mon Pikachu, tout ça... La base, quoi. Et…»
« Même pas une petite aventure amoureuse ? Un beau gaillard comme toi. Tu parlais d'une Valentine, tiens ! »
A nouveau, le garçon semble perplexe. Comment il a fait pour se souvenir de ça, lui ? Vieux comme il est ! Mais tant pis.
« Quoi, ça vous intéresse ? Ouah… Vous êtes une vraie commère, m'sieur Gustave ! »
« C'est Giscard. »
« C'est ce que j'ai dis. »
Nath fait les yeux ronds. Il poursuit.
« C'est vrai que lors de mes nombreuses pérégrinations... Oh, j'ai sorti un mot compliqué ! » Il glousse de plaisir. « Oui, en effet, j'ai rencontré... le grand amour ! »
Le vieillard se penche en avant, la mine semblable à celle d’une jeune fille euphorique. Il esquisse un grand sourire béant et tend l'oreille. Le garçon a un petit mouvement de recul, dérangé par le subit intérêt de son interlocuteur.
« Alors.. » Il prend une grande inspiration. C'est qu'il n'a jamais été à l'aise pour parler de ces choses-là. « J'ai coupé l'électricité, elle m'a crié dessus, je l'ai emmené, je l'ai obligé à me payer, je suis resté un moment avec elle, on a fini par s'embrasser, puis ça a continué comme ça.. »
« Le syndrome de Stockholm ? »
« Hein ? »
« Non, rien. Et maintenant, elle est où, ta... » Il déglutit et murmure pour lui-même. « Oh, la pauvre... Je devrais peut-être appeler la police. »
« Pourquoi ? La police était d'accord, vous savez. Elle m'a même aidé à la faire raquer. »
« Corruption ?! » Le vieil homme lâche une quinte de toux. « Je ferais mieux de ne pas me mêler de ça... Tu n'as rien d'autre à raconter ? Comment tu es arrivé à Kalos, par exemple. » Histoire de changer de sujet.
« M'ouais, ok, mais c'est un peu compliqué. Vous allez voir. En attendant, j'peux aller me chercher un yaourt ? »
• coucoujesuisleblanc • coucoujesuisleblanc •
Le bois craque sous le fessier du garçon. D'un coup de cuillère, Nath engouffre le fromage blanc dans sa gueule avec une satisfaction non-dissimulée.
« Chalor she dishai.. »
« Ne parle pas la bouche pleine. »
Il avale rapidement puis bat son dernier record de descente de verre d'eau.
« Pardon ! Alors oui, à la base je vivais à Mhyone, Port-Mirage, blabla... Quand tout à coup... ! »
Le vieux se redresse sur sa chaise, à l'écoute.
« Je me suis fais jeter de chez moi. »
L'autre éclate de rire, à gorge déployée : il rit tellement que ses cotes se replacent et que sa gorge se décrasse. Il retrouve une seconde jeunesse, portée avec bravoure par l'annonce d'une nouvelle absolument pas volée : il y a bien une justice en ce monde. Les bons garçons sont récompensés, et les mauvais garnements sont punis.
« C'est pas sympa. »
« Hahaha.. » Il tousse et s'étouffe quasiment. « Pourquoi tu t'es fais virer ? »
« Eh bien en fait c'est très simple, c'était un jour de printemps, assez doux si je puis dire, et puis j'avais une petite faim. J'ai donc décidé de me faire des pancakes ! Mais mon grand-frère, Jean, m'a envoyé chier parce qu'il faisait déjà la cuisine et qu'il voulait pas de moi dans ses pattes. Fort de ma déception, je me suis donc rendu au quartier général des ranger... »
« Pourquoi ? »
« Bah, j'y ai un peu grandi, et il y a des cuisines dedans, donc je me suis dis que je pourrais les utiliser ! Du coup, voilà, tac-tac-tac, j'ai fais mon chemin et j'ai commencé mes pancake... Sauf que pendant la cuisson, j'ai eu envie d'aller aux toilettes ! » Il pointe les WC du doigt. « C'était pas loin, donc je me suis dépêché et j'ai fais mon affaire. Sauf que quand j'ai remonté ma braguette et que j'ai ouvert la porte, j'ai senti une petite odeur de brûlé. Là, j'ai remarqué qu'un truc avait cramé pendant mon absence, et qu’en fait, TOUTE LA CUISINE BRÛLAIT. »
« Quel idiot... »
« Je vous le fais pas dire, monsieur Lascard. Donc j'ai un peu paniqué, j'ai lancé des casseroles sur le feu, mais ça n'a pas marché. Je suis donc allé prévenir les autres, mais il était trop tard : le bâtiment avait pris feu. Heureusement, y'avait pas trop de monde ce jour-là. » Il lâche un rire compulsif, et mine de rien, un peu honteux. « Bref, le chef m'a viré, et mes parents aussi. Ils m'ont dis d'aller foutre mon bordel ailleurs, que j'avais probablement été adopté, et qu'ils ne me donneraient plus d'argent. Du coup, comme j'avais pas trop le choix, je suis allé vivre chez Valentine et j'ai dû la suivre quand elle est retournée à Kalos. »
« Gamin, j'ai rencontré beaucoup de boulets dans ma vie, mais toi... Toi, tu gagnes le premier prix. Félicitations. »
« Oh trop cool, qu'est-ce que j'ai gagné ? »
Le vieillard lâche un long soupir. « Mon admiration éternelle. »
« Ah. »
« Oui. »
« Même pas un deuxième yaourt ? »
« ... »
« Bon, ok. Je continue, hein ! Je suis donc arrivé à Kalos, ou plutôt dans l'Empire. Je savais même pas que c'était un truc comme ça, c'est dire ! Il est super compliqué ce pays : y'a des aristocrates, des nobles, des roturiers, et blabla.. Au moins, à Mhyone, on s'embêtait pas avec ça. »
« C'est là toute la richesse de notre beau pays. De mon temps, les enfants avaient un temps soit peu de respect pour l'Empereur. Mais c'est sûrement parce que tu es un étranger. »
« J'ai la désagréable impression que quelqu'un vient de dire quelque chose de particulièrement xénophobe. »
Le vieux sourcille, surpris qu'il comprenne ce mot. Il décide toutefois de passer à autre chose et lui demande de continuer.
« Oui.. Je vous fais le résumé, parce qu'il s'est passé plein de trucs, surtout avec Val. Mais franchement, vous voulez pas les détails, ou alors vous êtes un gros pervers. Eurk.. Bref ! J'avais pas d'argent, et je voulais plus trop me faire financer par ma copine. J'ai donc erré à la recherche d'un travail, ou au moins d'un truc à apprendre, quoi ! Après tout, ça valait plus trop le coup d'être ranger. Et puis.. »
Il glisse sa main contre sa nuque.
« Les pâtisseries de Kalos avaient l’air trop trop bonnes. Heureusement, je suis tombé sur un type trop chouette ! Il s'appelait Robert, et c'était un pilote de génie, en plus d'être un super mécanicien. Il m'a appris à diriger les gens, à piloter et à bidouiller la mécanique... Tout ça pendant quatre années ! C’est passé super vite. Mais apparemment, il me trouvait sympa et plutôt doué, alors il m'a pris sous son aile. C'est cool, quand même. »
« Oh. C'est intéressant, pour le coup. Tu as appris à piloter quoi ? »
« Un énorme aéronef destiné à renverser le pouvoir établi dans l'Empire ! Et j'en suis le capitaine. Enfin, c'est surtout parce que Robert peut plus piloter à cause de sa maladie... Mais voilà, quoi ! » Il pose ses mains sur ses hanches, inconscient de la connerie qu'il vient de dire.
« ... »
« ... ? »
« Hahahahaha ! » Le vieillard éclate de rire. « T'es vraiment un bon, toi. T'es un peu déprimant parfois, mais t'es sacrément drôle. C'est presque si tu guérirais pas mon mal de dos ! Tu sais, faut pas avoir honte à être conducteur de bus ou autre, hein. Y'a pas de sot métier. Si tu étais dans un mouvement révolutionnaire, tu le dirais pas à un ancien politicien de l'Empire, bien évidemment que non. » Il pose sa main sur son épaule. « Merci, Nathaniel. C'était une belle histoire. »
Le garçon penche la tête, mais c'est vrai que pour le coup, c'est pas trop la peine d'insister. Il se contente de lui sourire en retour, et même d'ajouter un petit rire à l'unisson. « Eh ben, tant mieux ! Moi, je vais repartir, parce que j'ai du pain sur la planche, hein. Je suis pas à la retraite. Bonne journée, monsieur Oscar ! »
« Oui, tout à fais. Bonne continuation, gamin. J'espère que tu monteras haut. Allez, file ! »
« Ouais ! Et merci pour tout ! »
Il claque doucement la porte, tandis que ses pas s'enfoncent dans la neige.
Giscard, lui, se laisse tomber sur son fauteuil. Il passe une main sur son front, éreinté après cette soudaine poussée de fièvre Miller. Il attrape nonchalamment sa télécommande et allume la télévision, l'air plus que choqué.
« Finalement, ces programmes ne sont pas si stupides que ça.. »